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se revendiquer de quoi ?

Dans toutes les langues du monde, la négligence verbale journalistique se mord inlassablement la queue. Le bel animal médiatique est affecté d'une manie qui amuse sans doute, puisqu'on ne la soigne pas.

En France, l'Agence France Presse (AFP) possède un redoutable pouvoir de nuisance sur la langue, en raison de la rapidité et du manque de clairvoyance avec laquelle elle propage les déclarations les plus mal formulées, ensuite reprises avec autant de rapidité et aussi peu de clairvoyance par la presse écrite et parlée. Et sans précautions oratoires, à de rares exceptions près.

Quel rapport avec la faute de français "se revendiquer de" (sic) ? Nous y venons.

Le 22 mars 2012 au petit matin, un ministre de l'Intérieur français [Claude Guéant] déclare qu'un assassin de la région toulousaine "se revendique d'Al QaÏda". On peut attribuer ce cafouillage verbal à la fatigue consécutive à la supervision d'un assaut contre la position retranchée du forcené en question.

Mais à quoi peut-on attribuer le fait que, le 22 juin 2012, exactement trois mois après cette déclaration ministérielle en charabia, les plus grands médias français aient tous adopté l'expression fautive "se revendiquer de" en remplacement de l'expression correcte "se réclamer de" ? Au suivisme, bien sûr, plaie béante du journalisme ; et à l'absence de postes de garde-fous linguistiques au sein des agences de presse et des grands médias, amputation qui produit et accélère ce genre de nécrose de la langue.

La Mission linguistique francophone rappelle aux professionnels de la communication et au grand public que le verbe revendiquer n'est jamais pronominal ; autrement dit, qu'il ne doit jamais s'employer précédé du pronom personnel réfléchi "se".

Mais surtout, le verbe revendiquer est transitif direct : on revendique sa paresse, on ne revendique pas "de" sa paresse. Bref, si l'on peut à la rigueur, par audace de style, "se revendiquer", on ne peut en aucun cas "se revendiquer de" (sic).

Il ne faut donc pas dire "elles se revendiquent du libéralisme" mais "elles revendiquent leur libéralisme" ou "elles se réclament du libéralisme".

Dans le cas de la déclaration ministérielle précitée, en indiquant que l'homme traqué "revendiquait son appartenance à Al Qaïda" ou qu'il "se réclamait d'Al QaÏda", l'estimable politicien aurait pu se montrer estimable locuteur, aussi. Hélas, il n'en a rien fait. Et la presse francophone (mais à ce train-là, jusqu'à quand le sera-t-elle ?) n'a rien trouvé à y redire.

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