A juste titre, de nombreux usagers jugent horripilante la formule apparue au début du XXIe siècle : "veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée".
Inventée par la RATP, la "gêne occasionnée" a fait tache d'huile dans pas mal de cerveaux, au point de s'y imposer comme un nouveau cliché : un cercle vicieux, une fausse joie, un panier percé, une gêne occasionnée.
Apparemment anodine et pleine de sollicitude, la formule "veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée" offense non seulement la langue mais la logique et la morale. En voici la démonstration.
Sur le plan linguistique et logique, on déplorera dans "la gêne occasionnée" deux choses qui vont de pair :
1• un abus de précision voisin du pléonasme, appelé périssologie : toute gêne est occasionnée, inutile de le préciser ;
2• l'absence d'un complément d'agent ou d'objet : occasionnée par qui, par quoi, à qui ?
Si la précision par qui, par quoi est passée sous silence, alors il est encore plus superflu de préciser que la gêne est "occasionnée". Car cela va de soi : une gêne est par définition un embarras qui est causé par quelque chose ou quelqu'un. Qui est "occasionné", comme on dit à la RATP, par quelque chose ou quelqu'un. Il suffit pour s'en convaincre de raisonner par l'absurde : une gêne qui ne serait causée par rien (ni par un sentiment d'infériorité ou de culpabilité, ni par une grève d'agents de la SNCF, ni par une catastrophe naturelle) existerait-elle ? Certes non.
Il suffit donc de présenter ses excuses "pour cette gêne" et non "pour la gêne occasionnée".
Ou alors, il faut aller jusqu'au bout de l'idée et exprimer des regrets sincères : que l'émetteur du message se désigne donc avec loyauté comme l'auteur des causes de la gêne tout en désignant l'auditeur de son message comme la victime de cette gêne : "veuillez nous excuser pour la gêne que nous vous occasionnons". Ou au moins : "pour la gêne qui vous est occasionnée".
C'est par sa terminaison en queue de poisson que "la gêne occasionnée" heurte non seulement la logique linguistique mais la morale : d'un côté, elle est obséquieuse car redondante, d'un autre côté fuyante, presque fourbe, voire lâche. Car dans sa formulation sans complément, "la gêne occasionnée" tout court ne l'est par personne : elle devient une fatalité déplorée par l'émetteur du message. Cet émetteur est bien aimable de la signaler à d'hypothétiques gênés, mais bien hypocrite de présenter ses excuses alors qu'il ne va pas jusqu'à préciser qu'il l'occasionne lui-même. La "gêne occasionnée", ainsi laissée en suspens avec son pléonasme, est de l'ordre de l'inéluctable naturel, comme l'est l'an passé - qui n'est passé par personne et par tout le monde à la fois. L'absence de complément d'agent (gêne occasionnée par qui ?) entend dédouaner le gêneur.
C'est en cela que la "gêne occasionnée" agace. "Nous sommes désolés pour cette gêne" serait plus sobre et plus franc. Plus français, aussi.
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Inventée par la RATP, la "gêne occasionnée" a fait tache d'huile dans pas mal de cerveaux, au point de s'y imposer comme un nouveau cliché : un cercle vicieux, une fausse joie, un panier percé, une gêne occasionnée.
Apparemment anodine et pleine de sollicitude, la formule "veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée" offense non seulement la langue mais la logique et la morale. En voici la démonstration.
Sur le plan linguistique et logique, on déplorera dans "la gêne occasionnée" deux choses qui vont de pair :
1• un abus de précision voisin du pléonasme, appelé périssologie : toute gêne est occasionnée, inutile de le préciser ;
2• l'absence d'un complément d'agent ou d'objet : occasionnée par qui, par quoi, à qui ?
Si la précision par qui, par quoi est passée sous silence, alors il est encore plus superflu de préciser que la gêne est "occasionnée". Car cela va de soi : une gêne est par définition un embarras qui est causé par quelque chose ou quelqu'un. Qui est "occasionné", comme on dit à la RATP, par quelque chose ou quelqu'un. Il suffit pour s'en convaincre de raisonner par l'absurde : une gêne qui ne serait causée par rien (ni par un sentiment d'infériorité ou de culpabilité, ni par une grève d'agents de la SNCF, ni par une catastrophe naturelle) existerait-elle ? Certes non.
Il suffit donc de présenter ses excuses "pour cette gêne" et non "pour la gêne occasionnée".
Ou alors, il faut aller jusqu'au bout de l'idée et exprimer des regrets sincères : que l'émetteur du message se désigne donc avec loyauté comme l'auteur des causes de la gêne tout en désignant l'auditeur de son message comme la victime de cette gêne : "veuillez nous excuser pour la gêne que nous vous occasionnons". Ou au moins : "pour la gêne qui vous est occasionnée".
C'est par sa terminaison en queue de poisson que "la gêne occasionnée" heurte non seulement la logique linguistique mais la morale : d'un côté, elle est obséquieuse car redondante, d'un autre côté fuyante, presque fourbe, voire lâche. Car dans sa formulation sans complément, "la gêne occasionnée" tout court ne l'est par personne : elle devient une fatalité déplorée par l'émetteur du message. Cet émetteur est bien aimable de la signaler à d'hypothétiques gênés, mais bien hypocrite de présenter ses excuses alors qu'il ne va pas jusqu'à préciser qu'il l'occasionne lui-même. La "gêne occasionnée", ainsi laissée en suspens avec son pléonasme, est de l'ordre de l'inéluctable naturel, comme l'est l'an passé - qui n'est passé par personne et par tout le monde à la fois. L'absence de complément d'agent (gêne occasionnée par qui ?) entend dédouaner le gêneur.
C'est en cela que la "gêne occasionnée" agace. "Nous sommes désolés pour cette gêne" serait plus sobre et plus franc. Plus français, aussi.
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